Préserver l'hôpital/maison de retraite de Sainte-Marie-aux-Mines.

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Articles parus dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace du 15 juillet 2020.

Préserver la patte de Honegger

Propos recueillis par CZ

Gauthier Bolle, maître de conférences en histoire et culture architecturale à Strasbourg, explique pourquoi il faut conserver en l’état l’hôpital/maison de retraite de Sainte-Marie-aux-Mines. Et imaginer d’autres manières de réaménager et de rénover. L’hôpital/maison de retraite de Sainte-Marie-aux-Mines s’inscrit dans un paysage. Photo DNA /Vivien MONTAG « L’intérêt du bâtiment de l’hôpital/maison de retraite de Sainte-Marie-aux-Mines, explique Gauthier Bolle, maître de conférences en histoire et culture architecturales à Strasbourg, est qu’il est attaché à Denis Honegger (1907-1981), élève d’Auguste Perret (1874-1954), reconstructeur du Havre, une ville classée aujourd’hui au patrimoine mondial de l’Unesco ». Pour l’architecture du XXe siècle, deux figures dominent : Le Corbusier, d’une modernité radicale et Auguste Perret, maître du béton armé, mais avec un langage architectural classique. Perret s’inscrit dans une tradition plus longue, moins radicale que Le Corbusier. En Alsace, toute une série d’élèves de Perret ont agi. Vetter, notamment, architecte de l’hôpital de Colmar, construit avant la Seconde Guerre mondiale (1937). Il y a là un même langage de béton armé. Perret a une influence forte : à Mulhouse, Strasbourg et Colmar, des architectes l’imitent.

« Une œuvre qui a bien vieilli »

Denis Honegger poursuit la ligne de travail de Perret : il construit en Suisse des églises, en France des logements dans le langage de son maître. Il est un disciple respectueux de son inspirateur et va un peu plus loin. Le projet d’hôpital et d’hospice de Sainte-Marie-aux-Mines fut un projet de reconstruction. Le premier bâtiment avait été détruit durant la Seconde Guerre mondiale. Alors que pour la reconstruction, en Alsace, durant cette période, l’on est dans un langage habituellement régionaliste, Honegger, lui, innove. Dans un paysage rural, il fait du moderne. Perret fut certes classique, mais dès les années 40, il se montre très moderne en termes de dispositions techniques, de soin dans l’implantation, « une qualité des architectes de cette génération ». Les élèves de Perret trouvent aujourd’hui dommageable d’amputer une aile du bâtiment de Sainte-Marie-aux-Mines, pour en reconstruire une autre. Cet architecte est patrimonialement important, au-delà des frontières alsaciennes, explique en substance, Gauthier Bolle. C’est une œuvre, poursuit le même, qui a « bien vieilli, avec un savoir-faire, à distance de la modernité et de la veine régionaliste. Le matériau est de qualité : le béton a résisté. Et pourtant, dans une considération plus large, le patrimoine du XXe siècle est le parent pauvre en Alsace, où le patrimoine est riche, mais le récent peu reconnu ». « La Lorraine, ou d’autres régions, sont plus en avance en ce qui concerne l’intérêt pour le patrimoine du XXe siècle. Il y a quelques éléments, à Strasbourg notamment, qui sont reconnus, mais le patrimoine rural l’est peu. Il y a là beaucoup d’études et d’expertise à faire pour le faire reconnaître ».

Et Gauthier Bolle de poursuivre : « Le Havre avait été reconstruit par Perret. Le grand public disait : c’est sans intérêt, ce n’est pas beau. Mais, après des études d’experts et d’historiens, cela a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur le plan national, le patrimoine de la 2e reconstruction après la guerre commence à être connu et reconnu, avec des disparités selon les régions. Un label Patrimoine du XXe siècle a été créé par l’État en 1999. Il y a maintenant un label Architecture contemporaine remarquable (ACR). Les bilans que l’on a commencé à faire ont montré qu’en Alsace, on est moins bien doté en reconnaissance patrimoniale. Il y a là tout un travail de recherche historique et de pédagogie à faire auprès du public. L’École d’architecture de Strasbourg s’y emploie, notamment auprès des élèves ».

Une esthétique du béton

L’universitaire strasbourgeois souligne : « Quand on regarde l’œuvre de Honegger en Suisse, à Paris, en Alsace, on y trouve une force et une unité. Il a un langage d’expression, avec une rigueur esthétique ; c’est une leçon pour les jeunes architectes. Il a construit à Fribourg (Suisse) l’église du Christ-Roi. De ces deux figures du XXe siècle, Perret et Le Corbusier, aucune n’a construit en Alsace. Dans les années 30-40-50, il y a eu une influence réelle de Perret dans l’architecture. Honegger a travaillé avec lui et poursuivi son travail. La construction de Sainte-Marie-aux-Mines a été, à l’époque, reconnue par la presse architecturale. En 1949, dans la revue Techniques et architecture, on trouve, côte à côte, Stoskopf, évoquant une reconstruction régionaliste dans le vignoble, et Honegger qui parle de Sainte-Marie avec une esthétique du béton plus franche ». Et le même de détailler : « Il y a un double visage de la reconstruction en Alsace ; les deux ont un point commun : une modernité à distance de la radicalité trop brutale de Le Corbusier. Une des grandes affirmations de Perret, qui se poursuit chez Honegger, est que l’esthétique doit exprimer la structure. La vérité constructive doit montrer la trame constructive. On voit cela chez Perret. On voit la trame de son travail, c’est une architecture lisible, on comprend sa logique. Aujourd’hui, on isole les bâtiments et la structure disparaît ». Chez Honegger, qui a travaillé pour Sainte-Marie-aux-Mines avec un associé local, E. Cunrath, il y avait déjà de l’isolation thermique et phonique dans les panneaux de béton, une attention portée à l’ensoleillement avec des chambres placées au sud.

L’éclairage, le soleil faisaient partie de la cure, du soin. Pour Gauthier Bolle, « l’idée de démolir et reconstruire une aile témoigne d’une méconnaissance du patrimoine du XXe siècle. Pourquoi ne pas composer avec ? Ce n’est pas du conservatisme mais défendre une intégrité, une esthétique. Il y a une manière plus subtile d’intervenir ; les parties structurelles sont en bon état de conservation ».

Eclairage | par Michel Spitz, architecte

Un patrimoine du XXe siècle 15 juil. 2020 Il existe, depuis 1999, un label Patrimoine du XXe siècle, porté par le ministère de la Culture et décerné au niveau régional. Une réunion d’experts a procédé à la labellisation des premiers édifices en Alsace. Un travail d’identification et de recherche a été mené. Ces bâtiments peuvent obtenir le label « Bâtiments du XXe siècle », avant d’être protégés ou classés aux monuments historiques. Ce qui a été fait pour l’usine Junkers à la Meinau (Strasbourg), la cité paysanne de Marckolsheim ou l’usine List à Rhinau. L’Alsace semble en retard en ce qui concerne ces travaux de recherche, d’identification et de sensibilisation sur ce patrimoine du siècle dernier. La notion de patrimoine du XXe siècle met en jeu des critères comme l’innovation, l’expérimentation, la notoriété de l’auteur, du bâtiment, son exemplarité, l’appartenance à une œuvre plus large ou à un mouvement d’idée. En Alsace, l’écluse Le Corbusier à Kembs-Niffer a été labellisée et protégée au titre des monuments historiques. Mais pour les amateurs d’architecture moderne, un énorme travail reste à poursuivre pour identifier et engager des travaux sur le XXe siècle en Alsace.

Qui est Docomomo ?

L’association Docomomo France (Documentation et conservation des édifices et sites du mouvement moderne), créée en 1991, rassemble des personnes d’horizons divers : historiens, architectes, étudiants, enseignants, professionnels du patrimoine, citoyens et toutes personnes animées par leur engagement pour la valorisation et la protection de l’architecture, de l’urbanisme et des paysages du XXe siècle. Elle intervient en France dans le cadre d’un réseau international de compétences, fédéré par l’ONG Docomomo International. La vocation de Docomomo France porte sur l’éveil de la conscience à la reconnaissance des valeurs du patrimoine architectural du XXe siècle, un héritage parfois mal considéré ; sur la constitution d’un inventaire du patrimoine accessible à tous, l’organisation d’activités pédagogiques et éducatives pour instruire le public ainsi que sur la transmission des connaissances du patrimoine du XXe siècle; le lancement d’alertes lors de menaces de démolition ou transformations abusives d’édifices ou sites remarquables.