À Clichy, polémique autour de la Maison du peuple, Le Moniteur du 6 juillet 2018

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À Clichy, polémique autour de la Maison du Peuple

Par Raphaëlle Saint-Pierre, publié le 06 juillet 2018 dans le lemoniteur.fr

Un projet, lauréat d'Inventons la Métropole du Grand Paris, prévoit de greffer une tour au monument historique.

Le classement au titre des monuments historiques a-t-il encore la moindre valeur ? C'est la question que se posent des historiens, architectes et riverains, stupéfiés par le projet lauréat d'Inventons la Métropole du Grand Paris pour la Maison du Peuple de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Rudy Ricciotti, LBA et Holzweg imaginent ajouter une tour de 96 m à cet édifice pourtant pourvu du plus haut degré de protection patrimonial. « Si scandale il y a, c'est au niveau des termes de la consultation puisque les architectes sont obligés de construire pour dégager le budget nécessaire à la restauration de la Maison », estime Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques associé au projet.

Pionnier du mur-rideau. Conçu puis bâti entre 1935 et 1939 par les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods, avec l'ingénieur Vladimir Bodiansky et le constructeur Jean Prouvé, cet édifice considéré internationalement comme un chef-d'œuvre est composé d'une structure porteuse métallique et de l'un des premiers exemples au monde de mur-rideau. A l'origine entièrement modulable, il articulait un marché couvert et une salle des fêtes, de spectacle et de cinéma, à l'aide de cloisons mobiles, d'un plancher amovible et d'un comble roulant. « Flexibilité et polyvalence n'ont que peu d'usage, ce sont des mythologies fonctionnelles réductrices d'énergie architecturale, à l'origine de l'extinction de l'usage populaire de ce lieu : le “bijou mécanique” est une pure spéculation intellectuelle », décrète Rudy Ricciotti.

« La Maison est à l'abandon depuis trop longtemps, ce projet redonnera une bonne image à Clichy et la Ville n'aura rien à payer ! » se félicite son maire, Rémi Muzeau. Après estimation des Domaines, ce dernier vendra au Groupe Duval cet équipement public de quartier, effaçant ainsi un symbole du Front Populaire. Il a également demandé une révision du PLU visant à déclasser la parcelle en « frange urbaine » alors qu'elle se situe en centre-ville et que l'ombre projetée par la tour sur les immeubles voisins et sur l'éclairage zénithal de la Maison ne sera pas négligeable. « La Maison du Peuple est en état de détresse et personne ne veut financer sa restauration. Imaginer que seul l'argent du contribuable suffira n'est pas crédible. Onze millions d'euros iront à sa restauration à l'identique », détaille Rudy Ricciotti.

Son rez-de-chaussée sera dédié au « fooding », commerces et services (restaurants, espace de producteurs, épicerie, librairie, halte-garderie), l'étage à des événements culturels sous la houlette du groupe Scintillo et du Centre Pompidou tandis que les mezzanines seront dédiées au coworking. Une destination bien éloignée du marché qu'accueille aujourd'hui la Maison du Peuple. La tour abritera, quant à elle, un hôtel Hyatt 4 étoiles, un restaurant et 100 appartements panoramiques de luxe. « Ce sera un ouvrage extrêmement sophistiqué, une première mondiale : une tour tressée en béton post-contraint. Son exosquelette sera un grand moment de l'ingénierie du béton, il vaudra bien une enveloppe en tôle pliée. La co-visibilité des époques architecturales est bien l'histoire de la cité. Le mouvement moderne n'est pas achevé, rien n'est intouchable ! » insiste Rudy Ricciotti.

Création d'un précédent ? C'est justement ce que craint Richard Klein, le président de l'association Docomomo France, qui, dans une lettre ouverte, insiste sur le fait qu'« un tel projet établirait un précédent, portant préjudice à la politique française de sauvegarde du patrimoine ». Des architectes étrangers, dont Richard Rogers, Toyo Ito, Kengo Kuma, Mario Botta ou Kenneth Frampton, font partie des signataires tout comme Stéphane Bern et Jack Lang qui avait fait classer la Maison du Peuple en 1983. Sur le site internet de l'association Sites & Monuments, Bernard Toulier, conservateur général honoraire du patrimoine et farouche adversaire du projet, doute d'une éventuelle intervention du ministère de la Culture qui, depuis quelques années, se tait face à la dénaturation et la démolition de jalons de l'architecture du XXe siècle. Mais compte tenu de l'opposition grandissante, le PLU révisé et le permis de construire feront certainement l'objet de nombreux recours. Rien n'est encore joué.