Article : Pierre Guariche, architecte d’intérieur : la préfecture de l’Essonne ou la modernisation d’une institution de la Ve République par Delphine Jacob

En 1946, après la Seconde Guerre mondiale, le Commissariat général du Plan (CGP), créé par le Général de Gaulle, met en place une planification économique et sociale mais aussi d’aménagement urbain de la France. Sa politique favorise le logement locatif du secteur social avec, comme réalisation, la construction massive de grands ensembles souvent du type « barres » ou « tours ». C’est dans ce contexte que l’architecte d’intérieur Pierre Guariche s’engage dans la réalisation de grands projets publics d’architecture intérieure. L’État, avec ses grandes opérations urbaines, offre à ce décorateur la possibilité de participer à des projets d’envergure car la politique territoriale de la Ve République représente une conjoncture favorable : il peut alors orienter son travail vers les nouveaux programmes architecturaux de la croissance comme celui des préfectures. En effet, au milieu des années 1960, l’architecte Guy Lagneau se voit confier la réalisation de la préfecture de l’Essonne par André Malraux, ministre des Affaires culturelles. Sur la proposition de cet architecte, Pierre Guariche, avec son collaborateur Alain Marcot, se charge de l’aménagement intérieur. Face à ce programme architectural inédit, ils mettent en place un zonage en travaillant sur la flexibilité des lieux. Avec ces principes spatiaux, ils dessinent des espaces modernes qui assoient l’autorité de l’État. Ce projet s’insère dans le « 1 % artistique » avec l’obligation légale de décoration des constructions publiques. Avec l’aménagement intérieur de Pierre Guariche, cette préfecture, sceau de la politique de décentralisation, devient une des vitrines du pouvoir d’un État mécène, grâce en grande partie aux deux programmes de mobilier initiés par l’Atelier de recherche et de création (ARC). L’atelier réalise en collaboration avec Pierre Guariche des ensembles originaux réservés, entre autres, à de grandes administrations publiques pour que l’État poursuive sa mission de mécénat en faveur des arts de l’ameublement et des arts décoratifs. Ce soutien national offre à cet architecte d’intérieur la possibilité d’explorer de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux. C’est ainsi que la période des Trente Glorieuses, avec ses institutions publiques à moderniser, comme les symboliques préfectures, nécessaires au bon fonctionnement des villes nouvelles, donne à Pierre Guariche la possibilité d’aménager des espaces fréquentés par un large public, espaces qui deviennent une véritable vitrine de la culture de la Ve République. Ainsi, la préfecture de l’Essonne est pour Pierre Guariche l’occasion de collaborer à un programme inédit pour son agence mais aussi de bénéficier du soutien de l’Atelier de recherche et de création (ARC) du Mobilier national. L’art lui permet donc de désacraliser cette institution de l’État, qui doit désormais être accessible à tous les citoyens français, pour transformer leur cadre de vie.